Deux fois rien

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J'ai fait une bêtise je crois

Pourquoi est-ce toujours au plus mauvais moment que l'on fait les plus grosses bêtises ?

Ainsi, cette soirée était agréable, nous échangions des regards N. et moi depuis quelques minutes. Assis l'un en face de l'autre, ne participant pas à la conversation, nous levions nos verres l'un à l'autre, en silence, entre nous. Nos conjoints et les autres présents échangeaient des propos que je ne saurais rapporter ici, ni même le thème général de la discussion. Bref, je me perdais dans mes pensées et dans les yeux clairs de N.

Ça n'était pas non plus la première fois qu'il me semblait partager quelques instants avec elle. D'autre lieux, d'autres temps et déjà nous nous regardions et souriions, nous guettions la réaction de l'autre suite à une remarque, une phrase anodine pour le monde et pas si anodine pour nous. Rien de méchant, rien de bête. Jusqu'à ce soir.

Vers la fin de l'apéro, nous nous croisons à l'autre bout de l'appartement, moi à la recherche de la salle de bains, elle à sa sortie. Et plus que nous croiser, nous déposons tous deux un baiser sur les lèvres de l'autre. C'est tout. Promis. C'est bête n'est-ce pas ?

Et pourtant, je me trouve là, à la sortie de la salle de bains, dans le couloir sombre, j'attends avant de retourner au salon. Je vais la revoir, croiser son regard. Que pense-t-elle ? Que s'imagine-t-elle ? Que je vais quitter ma femme ? Que je l'aime ? Que je veux faire ma vie avec elle ? Non. Je m'emporte. Ce n'est qu'un baiser. Ce n'est rien. On peut faire embrasser quelqu'un au détour d'un couloir sans plus de conséquences non ? Que veut-elle ? Une liaison suivie ? Être ma maîtresse ? Que je lui accorde un week-end de temps en temps dans un bel hôtel et que je multiplie les voyages d'affaires pour la retrouver et passer des journées entières au lit avec elle ?

Pourvu qu'elle soit partie entre temps. Qu'elle ai prétexté un malaise, de la fatigue, un tâche importante pour le boulot. Bref, pourvu qu'elle se soit éclipsée et que je ne soit pas tenté de la regarder et de lui montrer mon état. Et si elle est partie, qu'elle ne m'attende pas pour poursuivre notre aventure. Qu'elle n'attende pas que moi également j'ai une course à faire, un ami à aller voir ou une urgence et que nous nous retrouvions au pied de l'immeuble pour sauter dans un taxi et nous rendre dans un lit pour continuer ce que nous avons commencé. Pourquoi a-t-il fallu que j'aille dans cette foutue salle de bains ? Qu'est-ce qui m'a attiré là-bas ? Elle ?

J'ai trompé ma femme. Rien qu'un instant. Et je redoute le moment où mon regard fuyant l'alertera sur mon écart, sur le bris de notre couple, la vie conjugale impossible après cette trahison. Décidera-t-elle de partir chez sa mère ? Ou me forcera-t-elle à quitter l'appartement en jetant mes affaires par la fenêtre ? Et que ferons-nous de notre enfant qu'elle porte ?

Moi C.

Je ne sais pas arriver à l'heure à une réunion. Je ne sais pas ne pas couper la parole à mes interlocuteurs. Je ne sais pas ne pas lire mes mails en réunion. Je ne sais pas me borner à parler des sujets couverts par la réunion en cours. Je ne sais pas lire un document et faire mes remarques toute seule si je ne suis pas relancée, assistée ou forcée à tenir une réunion spécifique. Mais cette dernière réunion déborde souvent sur d'autres sujets qui me passent par la tête...

Collègues

Il faut se rendre à l'évidence : C.L. est très mignonne. J. l´est aussi également. Comment ferais-je si le choix se présentait?

Mais comme il ne se présentera pas.

N. et moi

C'est une histoire un peu banale. N. et moi nous connaissions déjà depuis plusieurs années. Nous avons fait les mêmes études, bien que décalées d'une année et nos cercles d'amis se recoupaient régulièrement. Tous les deux, nous avons rencontré nos conjoints lors de nos études. Elle s'est mariée, moi pas. Nous habitions sur Paris et nous voyions régulièrement, tous les quatre ou bien avec d'autres amis communs. Nous sortions au cinéma, au restaurant, à la piscine, nous nous invitions régulièrement. Nous sommes partis également plusieurs fois en vacances ensemble : au ski, un week-end dans le sud à l'occasion d'un mariage, quelques week-ends au bord de la mer. Rien de bien extraordinaire.

Tout se serait bien arrêté là. Il a fallu qu'un élément extérieur bouleverse tout ça. Une fourgonnette blanche lancée un peu vite qui ne nous a pas vu traverser suffisamment tôt. Nous rentrions de la piscine, direction chez nous où nous allions dîner ensemble. Nous étions N. et moi en retrait, discutant de je ne sais quoi et n'étions pas encore engagés sur le passage piéton. C'est allé vite, pas de crissement de pneus comme dans les films, nos deux conjoints ont été fauchés avec un bruit sourd mêlé au son de la tôle froissée et du verre brisé. Nous n'avons pas mis longtemps à comprendre que N. était veuve. À 26 ans. J'ai passé deux heures à espéré ne pas subir le même sort. En vain.

Les enterrements ont eu lieu le même jour. Ma compagne le matin, son mari l'après-midi. Main dans la main, mon bras autour de ses épaules, elle blottie dans mes bras, en quelques dizaines d'heures nous avons traversé une avalanche d'émotions, un cyclone de faits, questions, déclarations, formulaires, lettres, condoléances. Nous avions décidé de recevoir ensemble les membres de nos familles, nos amis, tous les présents. Ça simplifiait les choses, la logistique. Pour nous mais aussi pour les eux. Et puis nous nous épaulions, nous nous occupions mutuellement l'esprit avec les formalités, les préparatifs, nous prévenions les coups de blues de l'autre en en remettant une couche, encore, puis encore.

Les derniers sont partis tard dans la nuit, ils nous ont aidés à ranger si bien que lorsque la porte s'est refermée, nous nous sommes assis sur le canapé, elle a replié ses jambes sous son corps et s'est laissée glisser vers moi. Je l'ai entourée d'un bras. Nous avons dormi là.

Le lendemain matin, je ne suis pas même repassé chez mois et je suis allé travailler. Mes collègues m'ont dit de repartir mais j'ai insisté, j'ai passé la journée plongé dans des affaires peu intéressantes mais qui avaient le mérite de m'occuper l'esprit. Je n'ai déjeuné qu'un sandwich devant mon ordinateur, principalement pour éviter de devoir faire la conversation, et je suis parti tard le soir, au-delà de tout horaire raisonnable. En sortant, j'ai appelé N., elle m'a raconté sa journée, en tout point similaire à la mienne et m'a proposé de venir dîner chez elle, les restes de la veille feraient bien l'affaire. Je l'ai donc retrouvé chez elle, nous avons dîné sans un mot, perdus dans nos pensées, j'ai lavé et rangé nos assiettes et alors que je m'apprêtais à rentrer chez moi, elle m'a demandé de rester. J'avoue que j'avais envie de rester près d'elle et elle n'a pas eu besoin de me convaincre. Elle a préparé un thé et nous avons discuté quelques heures jusque tard. Nous avons encore dormi tout habillés dans ce grand canapé.

Le lendemain, samedi, je l'ai laissée endormie, je suis rentré chez moi me changer, prendre une douche écouter un demi-message sur la bonne douzaine qui s'y trouvait. Ne voulant pas savoir la suite, j'ai raccroché l'appareil. Je suis ressorti, passé à la boulangerie et retourné chez N. Au moment où je suis arrivé, elle sortait de la douche, enveloppée d'une large serviette blanche et paraissait ravie de voir arriver des croissants, je crois que c'est le seul sourire que je l'ai aperçu esquisser pendant des semaines. Nous avons passé le week-end ensemble, coupés du monde à l'exception de ces croissants. Nous avons alterné les moments de discussion, évoquant le souvenir des disparus et les moments de silences, plongés dans nos pensées.

Les semaines suivantes, nous nous voyions presque chaque jour. Pour ma part, le jour je m'absorbais au maximum dans mon travail et en sortais abruti avec tout juste assez de jus pour rentrer dormir dans mon lit ou sur le canapé de N. Un vrai zombie. Je crois que de son coté, de ce qu'elle a pu me raconter, elle avait plus de mal à s'isoler à son travail et connaissait des moments difficiles où elle restait paralysée, incapable de faire autre chose que de penser à son homme, incapable même de répondre au téléphone s'il sonnait à cet instant, incapable de lever la tête vers la personne entrant dans son bureau lui demander un renseignement. Elle posait souvent des jours de congés au dernier moment, décidant le matin même que se lever, se doucher, s'habiller et se rendre au travail était au dessus de ses forces. Il m'est assez vite apparu que ces matins-là était plus fréquents lorsque je n'avais pas passé la nuit chez elle. En quelque sorte, me voir me lever le matin devait la motiver, elle se laissait entraîner dans un mouvement dont elle n'avait pas à être à l'origine, elle me suivait.

Pour cette raison, et aussi parce que je me sentais bien chez elle et que nous passions des moments plus agréables tous les deux plutôt que chacun de son coté, je me suis mis à dormir de plus en plus souvent chez elle. Nous avons je pense tous les deux tacitement accepté ce fait. Un événement toutefois a marqué de manière concrète cette sorte de déménagement pour moi : elle m'a confié une clé et a insisté pour que je la garde, elle voulait que je sois capable de rentrer comme chez moi, elle était consciente de l'importance qu'avais ma présence à ses yeux et voulait le reconnaître, j'étais selon elle la bouée de sauvetage qu'elle ne voulait pas perdre, pas quitter, elle voulait garder contact. Nos vies sont alors devenues notre vie. Comme un couple habitant sous le même toit, nous rentrions du travail, préparions le dîner, participions aux tâches ménagères, décidions de nos week-ends ensemble. Sans que le terme inséparables convienne tout à fait, nous ne nous séparions de fait quasiment jamais.

Assez vite aussi, elle a tenu à ce que nous partagions son lit. Elle ne voulait pas me demander d'habiter si près d'elle en me laissant la place du canapé. Elle m'a demandé de ne pas trouver cela étrange, elle m'a presque convaincu que ce n'était pas pour que nous nous rapprochions encore plus mais simplement pour mon confort physique et lui ôter ce scrupule qui lui restait lorsque je dormais dans le salon. Nous avons dormi quelques temps comme ça. Chacun de notre coté. Une certaine pudeur nous retenait toujours. Ainsi je m'efforçais de n'ôter mon t-shirt ou ma chemise qu'une fois la lumière éteinte et je l'enfilai le plus tôt possible au réveil. De son coté, elle ne se montrait en petite tenue que quelques secondes le temps d'ôter son peignoir et d'enfiler un pantalon ou une jupe et un chemisier. Ce mode de cohabitation a duré plusieurs mois. Nous étions nous même surpris de nous entendre si bien, peu à peu nous avons remonté la pente, notre moral s'est relevé et le fait de partager notre deuil nous permettait de nous soutenir réciproquement sans devoir exprimer notre compassion. Celle-ci allait de soit.

Un samedi matin, d'un mouvement, nous avons pourtant franchi un pas que je qualifie encore aujourd'hui de dangereux.

Une grasse matinée par un temps de printemps particulièrement ensoleillé. Je me suis réveillé il y a quelques instants et reste sous la couette. Je tourne la tête vers N. à coté de moi, elle dort encore mais commence à bouger et ne va pas tarder à se réveiller. Dans son dernier mouvement, elle se retourne, propulse son bras autour de moi et viens poser sa joue sur mon épaule son visage face au mien. Elle se réveille. Nous nous regardons un instant. Nous nous posons intérieurement la même question. Et nous choisissons tous les deux a même réponse. Nous nous embrassons. Elle est douce. Elle est chaude de son sommeil. Petit à petit, ce baiser appelle des caresses et ces caresses rapprochent nos corps. Nous faisons l'amour. Longuement. Doucement. Dans un silence religieux.

A l'issue de cet épisode, sans que je puisse me souvenir du détail de notre séparation, nous passons le week-end chacun de notre coté. Peut-être un peu par honte de ce que nous avons fait. Par gêne également, certainement. Je passe la journée du samedi dehors, à marcher, à prendre l'air, à avaler des kilomètres de bitume. Je marche sans but. Ou plutôt avec le but de penser à autre chose. À elle. À ma femme. Ma tendre compagne disparue. Je ne formule pas les mots mais je lui demande pardon. Des larmes coulent certainement sur mon visage mais je n'y prête pas attention. Je continue de marcher de quartier en quartier toute la nuit. Au petit matin, je me dirige machinalement jusque chez moi. Je rentre, épuisé, et je m'endors tout habillé sur mon lit.

Quelques coups frappés sur la porte me tirent de mon sommeil. La nuit est tombée. Je vais ouvrir. Elle est là, les yeux baissés, je remarque qu'ils sont rouges, elle a sans doute pleuré comme je l'ai fait. Je lui dit d'entrer. Nous nous installons dans mon salon, côte à côte sur le canapé. C'est assez étrange. Je n'ai plus l'habitude d'être chez moi. Je n'ai pas non plus l'habitude d'être avec elle ailleurs que chez elle. Elle m'explique qu'elle ne sait pas quoi penser de ce qui s'est passé. Elle repense à son homme, il lui manque. Elle m'explique qu'elle s'est fortement attaché à moi. Qu'elle ne sait pas quoi faire. Elle me dit qu'elle regrette à la fois ce qui s'est passé mais elle affirme aussi qu'elle a aimé ce moment d'abandon l'un à l'autre, qu'elle le referai avec autant de plaisir et d'envie et qu'elle le regretterait à nouveau. Elle me dit qu'elle veut me laisser le choix aussi, elle de toute façon ne saura pas choisir. Elle m'explique que dans son sac, elle a ramené ma brosse à dent, je n'ai qu'à décider de la suite. Tout le temps qu'elle parle, elle n'ose pas me regarder, elle garde les mains sur les genoux, les yeux fixés sur le sol. Lorsqu'elle arrête de parler, nous ne bougeons pas, je continue de la regarder, espérant qu'elle lèvera les yeux. Je finis par l'entourer de mes bras et l'attirer à moi. Je lui réponds enfin. Je lui dis que je partage son dilemme. Je ne suis sûr de rien non plus. Et pourtant, je veux continuer de la voir, de la connaître, de partager toutes ces choses avec elle. Je lui dit que ma femme me manque aussi, que je voudrais qu'elle soit encore là. Mais je lui dis que je veux continuer. Je lui dis que j'aimerais que ma brosse à dent reste chez elle. Je serais aussi heureux qu'elle amène la sienne chez moi.

Je ne sais pas encore combien de temps nous continuerons. N. et moi sommes aujourd'hui un couple je pense. Nos amis ont encore du mal à l'accepter je crois. Ils sont simplement surpris je pense. Je suis heureux si tant est qu'on puisse l'être après la mort de l'amour de sa vie. Nous naviguons encore entre nos deux appartements, nous sourions maintenant tous les jours. Je crois que nous sommes amoureux.